4

 

Quelques jours plus tôt, Stormgren n’aurait jamais envisagé sérieusement l’action qu’il projetait maintenant. Ce kidnapping ridiculement mélodramatique qui, rétrospectivement, ressemblait à un téléfilm de troisième ordre, avait probablement fait office de catalyseur. C’était la première fois de sa vie que cet homme, habitué aux duels verbaux des salles de conférences, avait été confronté à la violence physique. Le virus avait dû le contaminer. À moins, tout simplement, qu’il ne fût plus près de sa seconde enfance qu’il ne le supposait.

La curiosité était, elle aussi, une puissante motivation, de même que sa détermination de rendre la monnaie de sa pièce à celui qui l’avait roulé sans vergogne. Il était indéniable que Karellen s’était servi de lui comme appât et même si le Superviseur avait agi ainsi dans les meilleures intentions du monde, Stormgren n’était pas disposé à passer l’éponge aussi vite.

Pierre Duval ne manifesta nul étonnement quand il entra dans son bureau sans s’être fait annoncer. Les deux hommes étaient des amis de longue date et le fait que le secrétaire général rende visite au directeur de la recherche scientifique n’avait rien d’exceptionnel. Karellen n’y verrait rien d’insolite si, par hasard, il – lui ou un de ses sous-fifres – braquait ses mouchards sur le bureau de Duval.

Ils commencèrent par parler boutique et à échanger des commentaires sur la politique. Enfin, et non sans quelque hésitation, Stormgren entra dans le vif du sujet. À mesure que son visiteur s’expliquait, les sourcils du Français, qui s’était renversé en arrière dans son fauteuil, s’arquaient millimètre par millimètre jusqu’au moment où ils se confondirent presque avec la mèche qui barrait son front. À une ou deux reprises, il fut sur le point d’interrompre le secrétaire général mais, chaque fois, il se retint.

Quand Stormgren se tut, le savant balaya la pièce d’un regard inquiet.

— Est-ce que vous pensez qu’il nous écoute ?

— Je ne crois pas qu’il le puisse. Il me surveille à l’aide de ce qu’il appelle un traceur pour me protéger, mais cet instrument ne fonctionne pas sous terre. C’est en partie pour cela que je suis venu vous relancer dans votre tanière. Elle est en principe imperméable à toutes formes de rayonnement, n’est-ce pas ? Karellen n’est pas un sorcier. Il sait où je suis mais cela s’arrête là.

— Espérons que vous ne vous trompez pas. Mais, en dehors de cela, vous n’avez pas peur d’avoir des ennuis quand il apprendra ce que vous cherchez à faire ? Parce qu’il le découvrira, n’en doutez pas.

— J’accepte de courir ce risque. D’autant que nous nous entendons assez bien, lui et moi.

Le physicien, le regard perdu dans le vide, resta un moment à réfléchir en jouant avec un crayon.

— C’est un joli petit problème et j’aime ça, dit-il simplement avant de plonger dans un tiroir d’où il sortit un énorme bloc. (Jamais Stormgren n’en avait vu un aussi épais.) Bon, on va commencer par s’assurer que je dispose de toutes les données, reprit-il en se mettant à griffonner furieusement dans une sorte de sténographie toute personnelle. Décrivez-moi de façon exhaustive le local réservé à vos entretiens. Et sans omettre le moindre détail, si insignifiant qu’il puisse vous paraître.

— C’est qu’il n’y a pas grand-chose à décrire. La pièce a des parois métalliques. Elle fait à peu près huit mètres carrés et a quatre mètres de hauteur de plafond. L’écran se trouve à un mètre du sol, juste au-dessus du bureau. Tenez, je vais vous faire un dessin, ce sera plus parlant.

Stormgren esquissa rapidement la pièce qu’il connaissait par cœur et tendit son dessin à Duval. Il frissonna imperceptiblement en se rappelant la scène analogue qu’il avait vécue peu de temps auparavant et se demanda ce qu’il était advenu du Gallois aveugle et de ses amis. Et comment ils avaient réagi à sa brutale disparition.

Le Français étudia le feuillet en plissant le front.

— C’est tout ce que vous pouvez me donner comme tuyaux ?

— Oui.

Duval grommela avec dépit.

— Et l’éclairage ? Est-ce que ça se passe dans une obscurité totale ? Et l’aération ? Et le chauffage…

Cette irascibilité, bien caractéristique du personnage, arracha un sourire à Stormgren.

— Le plafond est entièrement luminescent et, pour autant que je le sache, l’air frais arrive par la grille derrière laquelle est serti le haut-parleur, mais j’ignore comment il est évacué. Il est possible que le flux s’inverse périodiquement, mais je n’ai pas fait attention à ce détail. Il n’y a aucun appareil de chauffage apparent. Néanmoins, la température est toujours normale.

— Ce qui tendrait à signifier, j’imagine, que la vapeur d’eau se solidifie, mais pas l’anhydride carbonique.

Stormgren fit de son mieux pour sourire à cette plaisanterie éculée.

— Je crois vous avoir tout dit. Quant à la machine volante qui me conduit au vaisseau, son habitacle est aussi impersonnel qu’une cabine d’ascenseur. S’il n’y avait pas le siège et la table, ce pourrait en être une.

Le silence retomba. Pendant plusieurs minutes, le physicien noircit son bloc d’arabesques aussi microscopiques que minutieuses. Stormgren, qui le regardait faire, s’étonnait que cet homme, incomparablement plus doué qu’il ne l’était lui-même, n’eût pas une réputation plus éminente dans le monde scientifique. Il se remémora le mot mordant, et sans doute inexact, d’un ami américain appartenant au département d’État : « Les Français sont les meilleurs brillants seconds du monde. » Duval était une bonne illustration de cette définition.

Le physicien secoua finalement la tête d’un air satisfait et se pencha en avant, son crayon pointé sur le secrétaire général.

— Qu’est-ce qui vous fait croire que l’écran vidéo, comme l’appelle Karellen, est effectivement un écran vidéo ?

— J’avoue ne m’être jamais posé de questions à ce sujet. Cela ressemble à un écran vidéo. D’ailleurs, que voulez-vous que ce soit d’autre ?

— Quand vous dites que cela ressemble à un écran vidéo, je suppose que vous entendez par là qu’il ressemble à un de nos écrans vidéo à nous ?

— Évidemment.

— C’est bien ce qui me chiffonne. Je suis sûr et certain que la technologie des Suzerains dédaigne un accessoire aussi rudimentaire qu’un écran matériel. Ils projettent directement les images dans l’espace, j’imagine. Et puis, pourquoi Karellen se fatiguerait-il à utiliser un circuit de télévision, voulez-vous me le dire ? La solution la plus simple est toujours la meilleure. Ne pensez-vous pas plus plausible que votre « écran vidéo » ne soit, en réalité, rien de plus qu’une sorte de glace sans tain ?

Stormgren était tellement furieux ne pas y avoir pensé tout seul qu’il en demeura muet sur le moment. Il fouilla ses souvenirs. Dès le début, il avait accepté l’histoire de Karellen comme vérité d’Évangile. Mais maintenant qu’il plongeait dans le passé… Quand le Superviseur lui avait-il dit qu’il utilisait un circuit fermé de télévision ? Jamais. Pour Stormgren, cela allait de soi. Un joli exemple d’action psychologique. C’était de l’intox. Et il était tombé dans le panneau.

— Dans ce cas, il suffit de fracasser ce morceau de verre…

Duval poussa un soupir.

— Tous les mêmes, ces profanes ! Vous figurez-vous que c’est une substance que vous pourriez briser sans explosifs ? Et à supposer que vous réussissiez, vous figurez-vous aussi que Karellen respire forcément le même air que nous ? Vous auriez bonne mine tous les deux s’il ne se sent à l’aise que dans une atmosphère chlorée !

Stormgren se sentit tout penaud. Il aurait dû y songer.

— Alors, que proposez-vous ? demanda-t-il avec un peu d’agacement.

— Il faut que je réfléchisse. La première chose à faire est de vérifier ma théorie, et, si elle se révèle exacte, d’essayer de se faire une idée de la substance qui constitue votre « écran ». Je vais mettre deux garçons là-dessus. À propos, je suppose que vous avez un porte-documents quand vous allez à vos rendez-vous ? Celui que vous avez là ?

— Oui.

— Il devrait faire l’affaire. Inutile d’attirer l’attention de Karellen en en changeant, surtout s’il a l’habitude de vous voir avec celui-là.

— Que devrai-je faire ? Transporter un appareil à rayons X caché à l’intérieur ?

Le physicien sourit.

— Je ne sais pas encore mais je trouverai un truc. Je vous dirai quoi dans une quinzaine de jours. (Il pouffa.) Savez-vous à quoi tout ça me fait penser ?

— Oui, répliqua vivement Stormgren. À l’époque où vous construisiez des postes de radio clandestins sous l’Occupation allemande.

La déception se lut sur les traits de Duval.

— Il m’est sans doute arrivé d’évoquer une fois ou deux ces souvenirs, j’imagine. Mais encore un mot…

— Quoi donc ?

— Lorsque vous vous serez fait prendre la main dans le sac… j’ignorerai absolument ce que vous aviez l’intention de faire avec ce matériel, nous sommes bien d’accord ?

— Comment ? Quand je pense à tout le foin que vous avez fait un jour à propos de la responsabilité sociale du savant face à ses inventions ! Vraiment, j’ai honte pour vous, Pierre !

 

Stormgren posa sur la table l’épaisse chemise contenant la téléscription du document avec un soupir de soulagement.

— Voilà enfin la question réglée, grâce au ciel, dit-il. Cela fait un drôle d’effet de penser que l’avenir de l’humanité est contenu dans ces quelques centaines de feuillets. L’État mondial ! Je n’avais jamais pensé assister de mon vivant à sa naissance.

Il glissa le dossier dans son porte-documents dont le dos n’était pas à plus de dix centimètres du sombre rectangle de l’écran. De temps en temps, il en caressait les fermoirs du bout du doigt, réaction nerveuse dont il n’avait qu’à moitié conscience, bien qu’il n’eût pas l’intention d’appuyer sur le bouton de commande caché avant la fin de l’entrevue. Il n’était pas exclu que quelque chose marche de travers. Il aurait juré que Karellen ne remarquerait rien mais on ne peut jamais être sûr.

— Vous avez dit que vous aviez des nouvelles, continua le secrétaire général avec une impatience mal dissimulée. Serait-ce au sujet de…

— Oui, l’interrompit Karellen. La décision m’est parvenue il y a quelques heures.

Que voulait-il dire ? Le Superviseur n’avait certainement pas pu communiquer avec sa lointaine planète que Dieu seul savait combien d’années-lumière séparaient de sa base opérationnelle. Peut-être – cela, c’était la théorie de Van Ryberg – avait-il simplement consulté quelque gigantesque ordinateur capable de prédire le résultat de n’importe quelle initiative politique.

— Je doute qu’elle réjouisse beaucoup la Ligue de la Liberté et les organisations sœurs, enchaîna Karellen, mais elle devrait contribuer à relâcher la tension. À propos, la suite de notre conversation ne sera pas enregistrée. Vous m’avez souvent répété, Rikki, que, quelle que soit notre apparence physique, la race humaine s’y habituerait rapidement. Cela prouve que vous manquez d’imagination. Ce serait probablement vrai dans votre cas, mais il ne faut pas oublier l’ignorance dans laquelle se débat encore l’écrasante majorité de vos semblables. Ce monde croule sous le poids de préjugés et de superstitions qu’il faudra des décennies pour extirper.

« Vous conviendrez que la psychologie humaine n’est pas pour nous un domaine inconnu. Nous savons de façon assez précise ce qui se produirait si nous nous révélions au grand jour en l’état actuel de l’évolution de cette planète. Je ne peux pas entrer dans les détails, même avec vous, et vous allez être obligé de faire confiance à mon analyse. Nous sommes cependant en mesure de vous faire une promesse ferme que je crois susceptible de vous donner partiellement satisfaction. Dans cinquante ans, c’est-à-dire d’ici deux générations, nous sortirons de nos vaisseaux et l’humanité nous verra alors tels que nous sommes.

Stormgren digéra cette déclaration en silence. Elle ne le réjouissait pas comme elle l’aurait fait un peu plus tôt. À vrai dire, cette victoire fragmentaire le déroutait quelque peu et, l’espace d’un instant, sa résolution faiblit. La vérité finirait par se faire jour dans l’avenir : sa machination était donc inutile, peut-être même imprudente. S’il s’obstinait à mener son projet à bien, ce ne serait que pour une raison égoïste, à savoir que, dans un demi-siècle, il ne serait plus de ce monde.

Karellen dut deviner son hésitation car il continua en ces termes :

— Si vous êtes déçu, j’en suis navré, mais tout au moins, les problèmes politiques du proche avenir ne vous incomberont pas. Peut-être pensez-vous que nos craintes sont sans fondement mais, croyez-moi, nous avons des preuves éloquentes du danger qu’il y aurait à agir autrement.

Stormgren se pencha en avant et dit d’une voix hachée :

— C’est donc que l’Homme vous a déjà vus !

— Je n’ai pas dit cela, rétorqua précipitamment Karellen. Votre planète n’est pas la seule que nous supervisons.

Mais il en fallait davantage pour avoir raison de l’entêtement de son interlocuteur :

— Il existe de nombreuses légendes qui permettent de penser que, dans le passé, d’autres races ont rendu visite à la Terre.

— Je sais. J’ai lu le rapport de la section des recherches historiques. La Terre y est présentée un peu comme le carrefour de l’univers.

— Nous avons peut-être eu des visites dont vous ignorez tout, insista Stormgren qui n’abandonnerait pas aussi facilement la partie. Bien que, s’il y a des milliers d’années que vous nous observez, ce ne soit pas très vraisemblable.

— Je ne vous le fais pas dire, laissa tomber le Superviseur, toujours aussi peu coopératif.

Ce fut alors que le secrétaire général prit irrévocablement sa décision :

— Je vais faire rédiger le texte de votre déclaration et je le soumettrai à votre approbation, Karellen. Mais je me réserve le droit de continuer de vous harceler et, si l’occasion s’en présente, je ferai l’impossible pour découvrir votre secret.

— Je n’en doute pas un seul instant, gloussa Karellen.

— Et vous n’y voyez pas d’objections ?

— Pas la moindre, à ceci près que j’exclus les armes nucléaires, les gaz toxiques ou tout ce qui risquerait de nuire à nos bons rapports.

Karellen avait-il subodoré quelque chose ? Derrière sa gouaille, Stormgren discernait une nuance de sympathie, peut-être même – allez savoir ! – d’encouragement.

— Je suis content de le savoir, dit-il de son ton le plus égal.

Il se leva, saisit son porte-documents. Son pouce se posa sur le fermoir.

— Je vais faire rédiger immédiatement la déclaration, répéta-t-il. Je vous communiquerai le texte par télétype dans le courant de la journée.

Tout en parlant, il appuya sur le bouton. Et comprit instantanément que toutes ses craintes avaient été vaines. Les sens de Karellen n’étaient pas plus subtils que ceux de l’Homme. Le Superviseur ne s’était certainement aperçu de rien car ce fut d’une voix inchangée qu’il dit adieu à son visiteur et prononça la familière phrase-clé qui ouvrait la porte de la petite salle.

Et pourtant, Stormgren avait l’impression d’être dans la peau d’un voleur à la tire qui sort d’un grand magasin sous l’œil du détective de la maison, et quand la porte se fut refermée, il poussa un soupir de soulagement.

 

— J’admets que mes théories ne se sont pas toujours révélées géniales, dit Van Ryberg. Mais vous allez me dire ce que vous pensez de celle-là.

— Vous y tenez vraiment ? soupira Stormgren.

Pieter fit mine de ne pas avoir entendu et enchaîna en jouant les modestes :

— L’idée n’est pas réellement de moi. C’est un récit de Chesterton qui me l’a inspirée. Supposez que les Suzerains cherchent à cacher le fait qu’ils n’ont rien à cacher ?

— Je crains que ce ne soit un petit peu trop abstrus pour moi, rétorqua Stormgren dont l’intérêt commençait vaguement à s’éveiller.

— Voici où je veux en venir, poursuivit van Ryberg avec excitation. À mon avis, ils sont physiquement tout aussi humains que nous. Ils ont compris que nous tolérerions d’être commandés par des créatures que nous imaginerions être… enfin, étrangères et super-intelligentes. Mais la race humaine étant ce qu’elle est, elle n’acceptera jamais d’être régentée par des êtres appartenant à la même espèce.

— C’est très ingénieux… comme toutes vos théories. Vous devriez leur donner un numéro d’ordre, ça me permettrait de m’y retrouver. Les objections que je formulerais contre celle-ci…

Mais Stormgren n’alla pas plus loin car, au même moment, on introduisait Alexander Wainwright dans son cabinet.

Le secrétaire général aurait bien voulu savoir ce que pensait son visiteur. Il se demandait aussi si Wainwright avait pris contact avec ses ravisseurs. Il en doutait car il croyait en la sincérité de l’attitude anti-violente de ce dernier. La fraction extrémiste de son mouvement s’était bel et bien discréditée et il coulerait pas mal d’eau sous les ponts avant qu’elle se manifeste à nouveau.

Le leader de la Ligue de la Liberté écouta attentivement tandis qu’il lui lisait le projet de déclaration et Stormgren espérait qu’il appréciait à sa valeur ce geste suggéré par le Superviseur lui-même. Ce ne serait que douze heures plus tard que les habitants de la Terre seraient mis au courant de la promesse faite à leurs petits-enfants.

— Cinquante ans, cela fait longtemps à attendre, dit pensivement Wainwright.

— Pour l’humanité, peut-être. Mais pas pour Karellen.

C’était seulement maintenant que Stormgren commençait à réaliser à quel point la solution des Suzerains était adroite. Elle leur donnait le répit dont ils estimaient avoir besoin et coupait en même temps l’herbe sous les pieds de la Ligue de la Liberté. Il ne se leurrait pas : la Ligue ne capitulerait pas mais sa position serait gravement affaiblie. Wainwright devait sûrement s’en rendre compte, lui aussi.

— Dans cinquante ans, le mal serait fait, laissa tomber ce dernier sur un ton amer. Ceux qui se rappellent le temps où nous étions indépendants seront morts. L’humanité aura oublié son héritage.

Des mots, songea Stormgren. Des mots vides. Des mots pour lesquels des hommes avaient lutté, pour lesquels ils avaient péri. Au nom desquels personne ne mourrait plus, personne ne prendrait plus jamais les armes. Et le monde s’en porterait mieux.

Wainwright prit congé. En le regardant s’éloigner, son hôte se demandait quelles difficultés la Ligue susciterait dans les années à venir. Mais cela, ce serait le problème de son successeur. Cette pensée le rassérénait.

Il est des plaies que seul le temps peut guérir. Les corrompus, il est possible de les détruire, mais avec les justes que l’on a trompés, il n’y a rien à faire.

 

— Voilà votre mallette, dit Duval. Elle est comme neuve.

— Merci, répondit Stormgren qui n’en examina pas moins attentivement le porte-documents. Vous allez peut-être me dire maintenant de quoi il retourne et ce que nous allons faire dorénavant.

Mais le physicien paraissait s’intéresser davantage à ses propres pensées.

— Ce que je ne comprends pas, c’est la facilité avec laquelle nous avons pu agir. Moi, si j’avais été Karellen…

— Mais vous n’êtes pas Karellen. Cessez de tourner autour du pot, mon vieux. Qu’avons-nous découvert ?

— Ah ! Ce que les Scandinaves peuvent être exaltés ! soupira Duval. Je vais vous dire ce que nous avons fait. Nous avons construit un radar à faible puissance, émettant non seulement des ondes radio de très haute fréquence mais aussi des ondes de la gamme extrême dans l’infrarouge. En fait, tous les types de rayonnement dont nous étions certains qu’aucune créature ne pouvait les détecter optiquement, si bizarre que puisse être sa vision.

— Comment pouviez-vous en être sûr ? s’enquit Stormgren. L’aspect technique du problème commençait malgré lui à éveiller sa curiosité.

— Évidemment, nous n’avions pas une certitude absolue, reconnut Duval à contrecœur. Mais Karellen vous voit sous un éclairage normal, n’est-ce pas ? Donc, sa vision perçoit approximativement la même bande du spectre que la nôtre. Toujours est-il que cela a marché. Nous avons la preuve qu’il y a une vaste pièce derrière votre écran. Il a trois centimètres d’épaisseur environ et le local qui se trouve derrière mesure au moins dix mètres. Nous n’avons pas d’échos du mur du fond mais nous n’espérions pas en obtenir, compte tenu de la faible puissance que nous étions contraints d’utiliser. Voici, néanmoins, ce que nous avons obtenu.

Duval tendit à Stormgren un cliché représentant une ligne ondulée. À un endroit donné, on distinguait des irrégularités semblables au tracé sismographique d’une secousse de faible amplitude.

— Vous voyez cette ligne tremblée ?

— Oui. Qu’est-ce que c’est ?

— Karellen, tout simplement.

— Seigneur ! Vous en êtes certain ?

— J’en donnerais ma main à couper. Il est assis ou debout ou dans je ne sais quelle position pour lui habituelle à deux mètres de l’écran. Si le pouvoir de résolution avait été un peu plus poussé, nous aurions même pu calculer sa taille.

Stormgren était en proie à des sentiments contradictoires tandis qu’il considérait l’anomalie à peine perceptible de la courbe. Jusque-là, on ne savait même pas si Karellen avait un corps matériel. Ce n’était encore qu’une preuve indirecte mais il l’acceptait sans discussion.

— Nous avons également cherché à déterminer le coefficient de transparence de l’écran à la lumière ordinaire et nous pensons en avoir maintenant une idée approximative. D’ailleurs, même avec une marge d’erreur de dix points, ce serait sans importance. Vous n’ignorez pas que la vitre idéale ne laissant passer la lumière que dans un seul sens n’existe pas. La disposition des sources lumineuses, tout est là. Karellen se tient dans l’obscurité et vous, vous êtes éclairé. C’est aussi enfantin que cela. Et nous allons changer ça, conclut Duval avec un petit gloussement.

Avec des airs de prestidigitateur sortant de son haut-de-forme toute une portée de lapins blancs, Duval alla pêcher au fond du tiroir de son bureau une lampe flash démesurée dont la forme évoquait un tromblon.

— Ce n’est pas aussi dangereux que ça en a l’air, s’esclaffa-t-il. Tout ce que vous aurez à faire sera d’appuyer l’extrémité de l’objet contre l’écran et d’actionner la gâchette. Vous aurez alors un faisceau de lumière très puissant qui durera dix secondes, un laps de temps suffisant pour balayer la pièce. La lumière traversera l’écran et inondera votre ami Karellen.

— Cela ne lui fera pas de mal ?

— Non, si vous prenez soin de diriger le faisceau vers le bas pour commencer et de le remonter ensuite. Ses yeux auront ainsi le temps d’accommoder. Je présume qu’il a des réflexes identiques aux nôtres et il n’est pas dans nos intentions de le rendre aveugle.

Stormgren examina l’instrument d’un air dubitatif et le soupesa. Depuis quelques semaines, il avait des remords de conscience. Karellen l’avait toujours traité amicalement en dépit de la brutale franchise dont il faisait preuve à l’occasion et il ne désirait rien faire qui serait susceptible de détériorer leurs bonnes relations alors que la fin de son mandat de secrétaire général approchait à grands pas. Mais il avait dûment averti le Superviseur et il était convaincu que, si la chose n’avait dépendu que de lui, l’extraterrestre se serait depuis longtemps révélé au grand jour. Eh bien, soit : il le placerait devant le fait accompli. À l’issue de leur prochain entretien, il verrait le visage de Karellen.

Si toutefois, Karellen avait un visage.

 

Il y avait un bon moment que la nervosité que Stormgren avait éprouvée au début de la conférence s’était dissipée. Karellen, qui faisait quasiment tous les frais de la conversation, ciselait ces phrases aussi subtiles que complexes qu’il affectionnait parfois. Jadis, cela avait été aux yeux de Stormgren le don le plus prodigieux et, en tout cas, le plus inattendu du Superviseur. Mais à présent, sachant que, à l’instar de la plupart des facultés de Karellen, il s’agissait moins d’un talent particulier que de l’exercice de sa puissance intellectuelle, il n’en était plus aussi émerveillé. Quand Karellen mettait la pédale douce pour ramener le cheminement de sa pensée au rythme du langage humain, il avait tout le temps nécessaire pour se livrer à ces raffinements rhétoriques.

— Ni vous ni votre successeur n’aurez à vous inquiéter outre mesure des agissements de la Ligue de la Liberté, même quand elle aura repris du poil de la bête. Depuis un mois, elle fait le mort et, bien qu’elle doive renaître de ses cendres, elle ne constituera pas un danger avant plusieurs années. En vérité, la Ligue est une institution fort pratique, car il est toujours précieux de savoir ce que font vos adversaires. Si elle avait un jour des difficultés financières, j’irais peut-être même jusqu’à la renflouer.

Stormgren avait souvent du mal à savoir quand Karellen plaisantait. Le masque impénétrable, il continua de prêter l’oreille.

— Elle va très bientôt perdre encore un autre argument, poursuivit Karellen. La situation privilégiée que vous occupez depuis ces dernières années a soulevé bien des critiques, toutes assez puériles, d’ailleurs. Elle m’a été très utile dans les premiers temps de mon administration, mais maintenant que la Terre s’est engagée dans la voie que j’ai choisie, un intermédiaire n’est plus indispensable. Dorénavant, je n’aurai plus avec ce monde que des contacts indirects et les fonctions du secrétaire général des Nations Unies redeviendront plus ou moins ce qu’elles étaient à l’origine.

« Durant les cinquante années à venir, il y aura bien des crises mais cela n’aura qu’un temps. Le visage du futur est clair, maintenant, et, un jour, toutes ces difficultés seront oubliées. Même s’agissant d’une race dont la mémoire est aussi longue que la vôtre.

Karellen avait tellement appuyé sur la dernière phrase que Stormgren se raidit instantanément. Quand le Superviseur commettait une faute d’étourderie, ce n’était jamais par hasard. Ses indiscrétions elles-mêmes étaient calculées à la décimale près… et avec pas mal de zéros après la virgule ! Mais il n’eut pas le temps de poser de questions – elles seraient d’ailleurs restées sans réponse – car son invisible interlocuteur avait déjà changé de sujet :

— Vous m’avez souvent interrogé sur nos projets à long terme, Rikki. La création d’un État mondial n’est bien évidemment qu’un premier pas. Vous assisterez à son avènement mais le changement sera si imperceptible que la plupart des gens ne le remarqueront même pas. Suivra une étape de lente consolidation durant laquelle la race humaine se préparera à la confrontation. Et le jour de la promesse viendra. Je regrette que vous ne puissiez voir ce jour quand il se lèvera.

Stormgren avait les yeux ouverts mais son regard plongeait par-delà la noire barrière de l’écran. Il contemplait le futur, imaginait ce qui se passerait ce jour-là, ce jour qu’il ne verrait pas, quand les immenses nefs suzeraines descendraient enfin et s’ouvriraient devant les foules impatientes.

— La race humaine, continua Karellen, subira alors ce que l’on ne peut appeler autrement qu’un traumatisme psychologique de discontinuité. Mais qui n’entraînera pas de dommages irréversibles car les hommes de cet âge seront plus stables que leurs aïeuls. Nous aurons toujours fait partie de leur paysage mental et quand la rencontre aura lieu, nous ne leur paraîtrons pas aussi… étranges que ce serait le cas pour vous.

C’était la première fois que Karellen était d’humeur aussi rêveuse, mais Stormgren n’en était pas autrement surpris. Il savait qu’il ne saisissait que quelques aspects fragmentaires de la personnalité du Superviseur : le vrai Karellen lui était inconnu. Peut-être était-il même inconnaissable pour un être humain. Et il eut derechef le sentiment que, en réalité, c’était autre chose qui préoccupait Karellen, que la tâche consistant à administrer la Terre ne mobilisait qu’une petite partie de son intelligence, qu’il l’accomplissait sans plus d’efforts qu’un maître d’échecs tridimensionnels disputant une partie de dames.

— Et après ? chuchota le secrétaire général.

— C’est à ce moment que commencera notre vrai travail.

— Je me suis souvent demandé ce qu’il pouvait être. Mettre de l’ordre dans notre monde et civiliser la race humaine ne saurait être qu’un moyen. Vous devez sûrement avoir aussi une fin en vue. Nous sera-t-il possible, un jour, de voyager dans l’espace, de voir votre univers – peut-être même de vous prêter notre concours ?

— On peut exprimer cela de cette manière.

Il y avait maintenant dans la voix de Karellen une note de tristesse évidente encore qu’inexplicable qui troubla étrangement Stormgren.

— Mais supposons, après tout, que votre expérience sur l’Homme échoue ? Il nous est arrivé de faire fiasco avec certaines races humaines primitives. Vous avez certainement dû enregistrer des échecs, vous aussi ?

— Oui, répondit Karellen d’une voix si faible qu’elle était presque inaudible, oui, nous avons eu nos échecs.

— Et que faites-vous quand vous échouez ?

— Nous attendons – et nous recommençons.

La pause qui suivit ces mots dura près de cinq secondes. Quand Karellen brisa le silence, la phrase qu’il prononça fut tellement inattendue que Stormgren ne réagit pas immédiatement :

— Adieu, Rikki.

Le Superviseur l’avait joué ! Il était sans doute déjà trop tard. La paralysie qui s’était emparée de Stormgren fut de courte durée. D’un geste prompt – il s’était parfaitement exercé –, il sortit la lampe et la colla contre la vitre obscure.

 

Les pins atteignaient presque la berge du lac, ne laissant qu’une étroite bande de gazon de quelques mètres de large entre eux et l’eau. Tous les jours, en fin d’après-midi, quand la température était assez clémente, Stormgren faisait sa promenade malgré ses quatre-vingt-dix ans. Il allait jusqu’à l’appontement, regardait le soleil sombrer dans le lac et regagnait sa demeure avant que le vent glacé de la nuit ne se mette à souffler à travers la forêt. Ce rituel lui apportait beaucoup de joie dans sa simplicité et il était bien décidé à le poursuivre tant qu’il en aurait la force.

Il aperçut quelque chose au-dessus du plan d’eau. Un objet qui volait à basse altitude, venant de l’ouest et animé d’une grande vitesse. Les avions étaient rares dans cette région, si l’on faisait abstraction des appareils des lignes transpolaires qui passaient d’heure en heure, de jour comme de nuit. Mais on ne les voyait pas. Seule une traînée de vapeur blanche sur le bleu de la stratosphère trahissait parfois leur présence. Il s’agissait cette fois d’un petit hélicoptère qui piquait droit sur le vieillard avec une détermination manifeste. Stormgren balaya la rive du regard. Aucune possibilité de s’échapper. Alors, haussant les épaules, il s’assit sur le banc de bois au bout du ponton.

Le reporter se montrait si respectueux que Stormgren en fut étonné. Il avait oublié qu’il n’était pas seulement un homme d’État à la retraite, mais presque un personnage mythologique hors de son pays.

— Je suis navré de vous importuner, monsieur Stormgren, commença le journaliste, mais nous venons d’apprendre quelque chose à propos des Suzerains, et je serais heureux de recueillir votre avis si vous aviez l’obligeance de me le donner.

Stormgren fronça imperceptiblement les sourcils. Même après tout ce temps, il éprouvait pour le mot « Suzerains » la même aversion que Karellen.

— Je ne crois pas pouvoir ajouter grand-chose d’inédit à tout ce qui a été publié à ce sujet.

Son visiteur l’observait avec une singulière intensité.

— Je pense que si, monsieur Stormgren. Une singulière affaire est parvenue à notre connaissance. Je crois savoir que, il y a une trentaine d’années de cela, l’un des techniciens du bureau de la recherche scientifique a fabriqué des accessoires peu ordinaires à votre intention. Pourriez-vous nous fournir des informations à ce sujet ?

Stormgren ne répondit pas tout de suite. Son esprit revenait sur le passé. Il ne s’étonnait pas que le secret eût été découvert. Ce qui était étonnant, en vérité, c’est qu’il ne l’eût pas été plus tôt.

Il se leva et remonta l’appontement. Le reporter le suivit à distance respectueuse.

— Il y a une part de vérité dans cette histoire. Lors de mon dernier entretien avec Karellen, je m’étais effectivement muni de certains accessoires dans l’espoir que ce matériel me permettrait de voir le Superviseur. C’était assez sot de ma part mais… que voulez-vous ? Je n’avais que soixante ans à l’époque. (Stormgren émit un rire léger et poursuivit :) Vous avez fait un bien long voyage pour un piètre résultat. Mon plan n’a pas marché.

— Vous n’avez rien vu ?

— Strictement rien. J’ai bien peur que vous soyez condamné à attendre. Mais, après tout, il ne reste plus que vingt ans à patienter.

Vingt ans à patienter. Oui, Karellen avait eu raison. Dans vingt ans, le monde serait prêt, alors qu’il ne l’était pas quand il avait sorti le même mensonge à Duval, trente années auparavant.

Stormgren n’avait pas trahi la confiance de Karellen. L’ancien secrétaire général ne doutait pas un seul instant que le Superviseur était au courant de son plan dès le début et qu’il avait tout prévu jusqu’au bout, jusqu’à l’instant décisif.

Autrement, le gigantesque fauteuil n’aurait pas été vide quand l’éblouissant faisceau de la lampe l’avait illuminé. Aussitôt, Stormgren avait fait pivoter le pinceau lumineux, redoutant qu’il fût trop tard. La porte métallique, haute comme deux hommes, se refermait précipitamment lorsqu’il l’avait distinguée. Précipitamment mais tout à fait assez vite. Oui, Karellen lui avait fait confiance. Il n’avait pas voulu que Rikki s’enfonce dans le long soir de sa vie hanté par un mystère qui serait demeuré entier. Il n’avait pas eu la témérité de braver les puissances auxquelles il était soumis (ces créatures appartenaient-elles aussi à la même race ?) mais il avait fait tout ce qu’il avait pu faire. S’il avait désobéi, nul ne pourrait jamais le prouver. C’était là, et Stormgren en était conscient, le gage ultime de l’affection que le Superviseur lui portait. Peut-être était-ce l’affection d’un homme pour un chien intelligent et fidèle – elle n’en était pas moins sincère et c’était là une des plus grandes satisfactions que l’existence avait apportées à Stormgren.

« Nous avons eu nos échecs. »

Oui, Karellen, c’était vrai. Et est-ce vous qui aviez échoué avant l’aube de l’histoire humaine ? Cela avait dû être un échec immense pour que ses échos se soient répercutés d’âge en âge, hantant l’enfance de toutes les races de l’Homme. Et même dans cinquante ans, pourrez-vous être victorieux de tous les mythes, de toutes les légendes de la Terre ?

Pourtant, Stormgren savait qu’il n’y aurait pas de second échec. Quand la confrontation aurait à nouveau lieu entre les deux espèces, les Suzerains auraient conquis la confiance et l’amitié de l’humanité, et même le choc de la vérité ne pourrait pas défaire ce qui aurait été fait. Les deux races entreraient dans l’avenir la main dans la main et la tragédie inconnue qui avait sans doute assombri le passé s’évanouirait à jamais dans les obscurs corridors des temps préhistoriques.

Et Stormgren espérait que, lorsqu’il lui serait loisible de fouler à nouveau le sol de la Terre, Karellen se rendrait un jour dans ces forêts Scandinaves pour se recueillir devant la tombe du premier homme qui avait été son ami.

Les enfants d'Icare
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